Revue Etho-logique

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CHEVAL, QUI ES-TU ?

L’éthologie du cheval, hier et aujourd’hui

L’éthologie du cheval : du comportement naturel à la vie domestique

jeudi 19 août 2004, par Michel-Antoine Leblanc

Initialement psychologue, Michel-Antoine LEBLANC complète ensuite sa formation universitaire par un diplôme d’éthologie. Au début des années 1980 il fait découvrir l’éthologie au monde français du cheval par une série d’articles parus pendant plus de deux ans dans Cheval Magazine. En 1984, il publie Le cheval. Comportement, vie sociale et relations avec l’environnement, resté en France sans équivalent. Docteur en neurosciences, il est actuellement Chercheur Associé au Laboratoire de Psychologie de l’Université d’Angers et au Laboratoire d’Éthologie et Cognition Comparées de l’Université Paris X-Nanterre.

Des « pères fondateurs » de l’éthologie ...

Le 10 décembre 1973, Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch recevaient conjointement le prix Nobel de médecine et de physiologie « pour leurs travaux sur les causes et l’organisation des schèmes comportementaux ». Il s’agissait là d’une double consécration. Consécration, certes, de la carrière de trois savants d’exception, mais aussi consécration de la reconnaissance de l’éthologie comme discipline scientifique à part entière.
Konrad Lorenz était déjà bien connu d’un large public :
ses extraordinaires talents de conteur, son interprétation du phénomène de l’empreinte chez les oiseaux fraîchement éclos, les spectaculaires photos illustrant ce phénomène où on le voit entouré d’oisons, y avaient tout autant contribué que l’abondance et la richesse de ses écrits scientifiques.
L’ouvrage de Karl von Frisch sur la vie et les moeurs des abeilles, où il décrit notamment comment elles « se parlent » en dansant, alors réédité à de nombreuses reprises et largement diffusé, avait déjà également conféré à celui-ci une grande notoriété.
Quant à Niko Tinbergen, s’il était moins connu en dehors de la communauté scientifique, il constituait néanmoins déjà une référence indispensable pour qui s’intéresse à l’éthologie, l’étude biologique du comportement animal.
C’est lui en effet qui en avait défini le « programme de travail », programme en quatre points, distincts mais totalement complémentaires, qui reste toujours d’actualité. Pour tout comportement qu’on peut observer en milieu naturel, quatre questions en effet méritent d’être posées :
- Quelles en sont les causes immédiates (stimulations externes ou états internes) ?
- Comment s’est-il construit au cours de la vie de l’individu (ce qu’on appelle son ontogenèse) ?
- Quelle est sa fonction adaptative (sa contribution à la survie de l’individu ou à son succès reproducteur) ?
- Comment s’est-il construit au cours de l’évolution de l’espèce ?
Bref, à cette époque donc, l’éthologie avait acquis ses lettres de noblesse à travers l’étude de nombreuses espèces, dans leur milieu naturel et sur la base d’une réflexion théorique consistante, si ce n’est que le terme même d’éthologie n’était encore que peu utilisé de façon courante en dehors des milieux scientifiques.
En particulier, évoquer « l’éthologie du cheval » ne suscitait alors aucun écho d’autant que, de façon un peu paradoxale, les chercheurs qui étudiaient les mammifères se consacraient plus volontiers à des espèces plus « exotiques » : si dès les années 1960 par exemple Jane Goodall avait fait découvrir au monde la vie et les mœurs du chimpanzé en pleine nature ou si Georges Schaller avait observé et largement décrit l’organisation sociale des lions de l’est africain, peu était réellement connu de la vie naturelle d’un animal aussi familier que notre compagnon le cheval.

... Aux initiateurs de l’éthologie des équidés ...

C’est ainsi que James Feist, un jeune chercheur américain du début des années 1970 qui étudiait les chevaux vivant en liberté dans les Pryor Mountains, à la limite du Montana et du Wyoming, se voyait contraint de noter qu’il n’existait alors aucune étude sur le comportement du cheval "sauvage" aux États-Unis. L’important traité d’éthologie publié à cette époque par Irenaüs Eibl-Eibesfeldt en témoigne aussi à sa façon. Une abondante bibliographie y recense 1351 références d’articles ou d’ouvrages parus jusqu’en 1968 : seuls huit articles concernent des équidés et, sur ces derniers, il n’y en a que trois consacrés au cheval, les autres ayant trait à l’onagre ou aux zèbres...
Rejoignant d’ailleurs notre propos précédent concernant la priorité d’étude donnée aux espèces « exotiques », on constate effectivement que la vie et les mœurs du zèbre ont été assez largement connues bien avant celles du cheval ! Les grands précurseurs qu’ont été Bernhardt Grzimek, dans les années quarante, Eberhard Trumler dans les années cinquante, Klaus Zeeb dans les années cinquante et soixante ou Hans Klingel dans les années soixante et soixante-dix se sont alors essentiellement consacrés aux zèbres...

... Et à l’avènement de l’éthologie du cheval

Cependant, après la fin des années soixante, les recherches se multiplient et s’approfondissent. De nombreux compte-rendus d’études systématiques sont ensuite publiés. Pour illustrer ce que de telles études peuvent représenter, donnons quelques exemples. Une anglaise, Stéphanie Tyler, a fait connaître en 1972 son travail effectué sur des poneys New-Forest ; ce travail, qui portait sur une population d’environ trois cents poneys, s’est étalé sur trois ans et a été établi sur près de quatre mille heures d’observation ! En France, à la Station Biologique de la Tour du Valat en Camargue, une équipe de chercheurs alors animée par Patrick Duncan, s’est consacrée à partir de 1974, et ce pendant plus de dix ans, à l’observation quotidienne de chevaux vivant librement sur 335 hectares, l’intervention humaine étant pratiquement limitée au retrait des chevaux les plus faibles : de 14 chevaux à l’origine, la population avait ensuite été stabilisée à une centaine d’individus. Toujours en France, un « troupeau expérimental » a été suivi à partir de 1972 au sein de la Station Expérimentale des Haras Nationaux à Pompadour alors dirigée par Michel Jussiaux. Ceci a permis non seulement de suivre l’évolution de la structure sociale de ce troupeau sur une période de dix ans, mais aussi de pratiquer des expérimentations, comme celle de Béatrice Cougouille-Gauffreteau, relative aux effets à long terme de certaines modifications hormonales sur le comportement sexuel et social.
Sur le continent nord-américain, qui comporte un certain nombre de populations de chevaux retournés à l’état sauvage (aux USA, un organisme fédéral, le «  Bureau of Land Management  » a en charge la protection et la préservation d’une population de plus de 40.000 ânes et chevaux « sauvages »...), de nombreuses études ont été réalisées dès cette époque, que ce soit au Canada avec, par exemple, les très complètes observations de Daniel Welsh sur les chevaux de Sable Island, ou aux États-Unis avec celles de Joël Berger dans le Grand Canyon, de Ronald Keiper à Assateague Island, de Richard Miller dans le Red Désert, ou de bien d’autres encore...

D’un statut confidentiel des connaissances à leur large diffusion (et au risque de mystification !...)

Toutefois, au début des années 1980 la situation n’avait encore que partiellement évolué, et l’éthologie du cheval restait « confidentielle » : tous ces travaux, pourtant déjà nombreux, consacrés au comportement du cheval dans son milieu naturel n’avaient en effet pratiquement donné lieu qu’à des thèses universitaires, non diffusées, et à des articles assez arides d’une grande technicité publiés dans des revues scientifiques spécialisées destinées à des chercheurs, et donc difficiles d’accès à tous égards.
D’où la série d’articles que j’avais publiés deux ans durant au début des années 1980 dans « Cheval Magazine » puis un ouvrage («  Le cheval. Comportement, vie sociale et relations avec l’environnement  »), destinés à faire connaître « l’éthologie du cheval » en visant à mettre l’essentiel des résultats de ces recherches des scientifiques à la portée et à la disposition d’un large public.
Nous vivons aujourd’hui un autre paradoxe. L’intérêt pour la vie et le comportement du cheval « au naturel » s’est dorénavant largement répandu. Plus personne ou presque parmi ceux qui manifestent quelque intérêt pour notre compagnon n’ignore plus par exemple qu’il vit normalement en harem ou que, contrairement à ce qu’on répétait communément jadis, l’étalon n’est pas territorial. Parler d’éthologie du cheval (de la même façon qu’on se plaisait hier à titrer abusivement sur la « psychologie » du cheval et sur son « comportement ») est devenu banal et même plus encore, suffisamment à la mode semble-t-il, pour servir de caution et donner un label de sérieux et de qualité « scientifique » à des écrits, à des pratiques, voire à des formations qui, quels que puissent être éventuellement par ailleurs leur qualité et leur intérêt intrinsèques, notamment en matière de dressage ou plus généralement de pratique de l’équitation, n’ont d’éthologiques que le nom !....
Il s’agit là d’une regrettable confusion des genres : pas plus que l’éthologue ne saurait se substituer à l’écuyer ... ou au « chuchoteur » dans l’enseignement de leur art, ces derniers ne sauraient raisonnablement laisser croire que la maîtrise qu’ils ont de leur pratique, si bonne soit-elle, puisse remplacer les connaissances de l’éthologue. Prétendre le contraire est mystifier son public !

Des connaissances qui ne cessent de se développer

Depuis la parution de mon précédent livre il y a une vingtaine d’années [1], les recherches se sont diversifiées : de nouvelles équipes ont vu le jour (qu’on pense par exemple aux travaux de Wayne Linklater et Elissa Cameron en Nouvelle-Zélande) ; outre les observations de terrain, des expérimentations se sont multipliées permettant de mieux appréhender des domaines hier encore insuffisamment connus (comme c’était le cas par exemple de la vision ou des capacités d’apprentissage du cheval) ; de nouvelles techniques ont apporté leur concours (les progrès de la génétique moléculaire ont notamment permis de renouveler notre savoir sur les parentés, passées ou actuelles, du cheval) ; des aspects encore relativement peu explorés jadis, tel la compréhension de la raison d’être d’un certain nombre de comportements au regard du « succès reproducteur » induit, ont été systématiquement pris en compte ... Bref, l’éthologie du cheval est aujourd’hui bien vivante !
C’est pour tenir compte de ces évolutions, et parce que cela n’existait toujours pas en langue française, que j’ai pris l’initiative de publier récemment, avec le concours de Marie-France Bouissou, scientifique reconnue du comportement animal, une nouvelle synthèse aisément accessible, fondée sur les connaissances les plus actuelles de ce qui constitue réellement aujourd’hui l’éthologie du cheval. : «  Cheval, qui es-tu ? L’éthologie du cheval : du comportement naturel à la vie domestique  » [2].
Reprenant le souhait que j’avais exprimé dans mon précédent ouvrage, j’ajouterai seulement que ce livre aura atteint son objectif si, comme on le disait autrefois, « il parvient à instruire tout en distrayant », et surtout s’il contribue à une meilleure compréhension du cheval.


table des matières

Préface (Bertrand Deputte, Professeur d’Ethologie à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort)

Introduction (Michel-Antoine Leblanc)

1. Ancêtres de nos chevaux, chevaux de nos ancêtres (Michel-Antoine Leblanc)
- Des histoires parallèles, ou les hasards de la vie
- Néandertal et Cro-Magnon, les nouveaux prédateurs
- Les débuts d’une association

2. La vie de famille (Michel-Antoine Leblanc)
- L’organisation sociale des chevaux en liberté
- Les relations entre individus à l’intérieur du groupe
- Les rapports de force entre les membres du groupe
- Les relations de « bon voisinage » et les préférences individuelles

3. La société des chevaux (Michel-Antoine Leblanc)
- Le tissu social
- La dynamique sociale

4. Le monde sensible du cheval (Michel-Antoine Leblanc)
- Les sens du cheval, support des relations avec l’environnement
- La vision
- L’audition
- L’odorat
- Le goût
- Le toucher

5. La communication (Michel-Antoine Leblanc)
- Des modes divers de communication
- Le langage des « gestes »
- Il ne suffit pas de se voir pour que tout soit dit !

6. Le temps et l’espace (Michel-Antoine Leblanc)
- Les jours et les nuits
- L’utilisation du terrain

7. Mâles et femelles (Michel-Antoine Leblanc)
- Le combat des chefs
- Les cycles des amours
- Ballets intimes
- Les relations amoureuses

8. Ainsi vient la vie (Michel-Antoine Leblanc)
- La préparation de la vie
- Lorsque l’enfant paraît

9. Les débuts dans la vie (Michel-Antoine Leblanc)
- Premières découvertes
- Enfance et adolescence
- D’une famille à l’autre

10. Les racines biologiques (Michel-Antoine Leblanc)
- Au cœur du sujet, l’organisme
- Comportement et facteurs internes
- Des influences externes
- Un ensemble intégré

11. Les plus proches parents (Michel-Antoine Leblanc)
- Presque « frères »
- Les cousins de la famille
- Une famille, deux sociétés

12. Les contraintes écologiques (Michel-Antoine Leblanc)
- Le poids de la nature, ou comment s’adapter
- Environnement, adaptation et évolution

13. L’école du cheval (Marie-France Bouissou)
- Les principales formes d’apprentissage
- La chaine « stimulus-réponse-renforcement »
- Quelques autres aspects des apprentissages
- Les facteurs influençant les apprentissages

14. Le Cheval et l’Homme (Marie-France Bouissou)
- Histoire commune de l’homme et du cheval, de l’antiquité à nos jours
- Les contraintes de la domestication
- La communication entre l’homme et le cheval
- Le cheval malade de l’homme

15. Epilogue : la fin du voyage (Michel-Antoine Leblanc)

Bibliographie

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