Revue Etho-logique

Accueil > Abstracts > Psycho-étho > Entre nature et culture

Entre nature et culture

"Nature" publie sur l’équité chez les chimpanzés

jeudi 27 octobre 2005, par Agnès Maillard

Il est toujours un peu effrayant de voir des biologistes chercher la source de comportements moraux dans des fondements biologiques.

La charité est-elle un comportement naturel ? Lorsque l’on décide de lancer une études sur les singes portant sur ce genre de questionnement, c’est en général sur la "nature" humaine, sa spécificité que l’on s’interroge. En filigrane, il y a toujours l’éternel combat entre le "bien" et le "mal", la volonté de définir si l’Homme est naturellement bon ou si c’est la civilisation, la culture qui le police (dans les deux sens du terme).

Les recherches sur les fondements biologiques des comportements humains sont symptomatiques de la pensée anglo-saxonne qui cherche à expliquer les faits sociaux par des déterminants biologiques : la pauvreté serait héréditaire (The Bell Curve [1]), tout comme la délinquance et l’homosexualité serait une maladie.

La dichotomie présupposée entre nature et culture est assez caractéristique de l’école américaine, plutôt très déterministe, alors qu’en Europe, on admet plus généralement que les comportements humains sont l’expression de causes, fondements et stimuli multifactoriels.

C’est pour cela que toute expérience animale portant sur l’expression de comportement à connotation morale (l’idée d’équité ou de charité est un concept moral) est toujours à prendre avec des pincettes.

mercredi 26 octobre 2005, 21h03

Pas d’équité chez les chimpanzés, selon Nature

PARIS (AFP) - Les chimpanzés refusent de faire un geste en faveur d’autrui, même si cela ne les prive de rien, révèlent les résultats d’une étude de comportement menée sur ces grands singes en captivité et publiée dans la revue Nature de jeudi.
Concrètement, pour voir si le sens d’équité existait chez les plus proches parents de l’homme dans le règne animal, Joan Silk, de l’université de Californie à Los Angeles, et ses collègues, ont imaginé des expériences dans lesquelles les chimpanzés (dix-huit en tout) pouvaient obtenir une friandise tout en en livrant, ou non, une autre à un congénère.
A cette fin, les singes ont été placés par paire dans deux enclos contigus, avec un appareil de distribution de fruits, situé entre les deux. Cependant, seulement l’un d’eux pouvait l’actionner en poussant ou en tirant une manivelle, soit pour accéder uniquement lui-même à la friandise convoitée, soit pour en faire tomber simultanément une autre, identique, vers son voisin. Dans aucun cas, le chimpanzé actif ne pouvait donc être perdant.

A la surprise des chercheurs, les primates, qui se connaissaient pourtant très bien mutuellement car ils vivaient ensemble depuis de longues années, ont nettement préféré se servir eux-mêmes sans se laisser impressionner par les gestes du quémandeur d’en face.

Ce comportement était d’autant plus étonnant qu’à l’état sauvage, en Afrique, les chimpanzés participent à une multitude d’activités collectives. Ils prennent part, par exemple, à des patrouilles le long de frontières de leur territoire, à des agressions en coalition contre les populations adverses, ils consolent un congénère blessé. Ils participent à la chasse et partagent ensuite la viande.

Il semblerait que, chez les primates non-humains, y compris les chimpanzés, ces gestes tiennent compte des liens familiaux entre les différents membres d’une communauté (les chimpanzés sélectionnés pour les expériences n’étaient pas apparentés), notent les scientifiques.

Chez l’homme, en déduisent-ils, l’explication du comportement pro-social extrêmement varié (participation aux élections, don du sang, condamnation des violations de normes sociales...) est à chercher en revanche dans les capacités complexes d’apprentissage culturel et les jugements moraux.


[1Voir ici et