Revue Etho-logique

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Tête de piaf

samedi 30 juin 2007, par Agnès Maillard

Mouvement fugace détecté en vision périphérique. Coup de frein. Rotation de la tête de 90° sur la droite.

Et je vois une petite boule d’indignation emplumée qui vrombit sur un rétroviseur de voiture.

C’est un petit oiseau noir et blanc, plus fin qu’une mésange, qui piaille de colère. Régulièrement, il descend vers le miroir du rétroviseur de la voiture et entreprend de latter son propre reflet. Quelques secondes de pure frénésie, puis il se repose prestement sur le cache du rétroviseur, le poitrail tout ébouriffé, les plumes en bataille, dardant le monde d’un œil courroucé.

Je ne pensais pas qu’une si petite chose pouvait exprimer autant de colère. Plus que son comportement guerrier, c’est son indignation de petite créature dérisoire qui a attiré mon attention. Et il recommence. Encore et encore.

Je sors mon appareil photo, qui est toujours dans mon sac, au cas où. Vu la taille de l’appareil, c’est plutôt un choix contraignant. Mais la vie est une succession de surprises. Grandes ou petites. Comme ce petit oiseau vindicatif.
Il est tellement préoccupé par son désir de virer son reflet qu’il ne me voit pas approcher. Il me rappelle les poissons combattants du Siam qui ne supportent aucun concurrent et qui, au labo d’éthologie, se lattaient pratiquement jusqu’à la mort avec leur propre reflet.

Au moment où j’allais immortaliser cette belle scène naturaliste, arrive la propriétaire du véhicule. Le piaf s’envole et mon cliché est raté.

« Bah, je ne sais pas pourquoi, chaque fois que je me gare ici, il vient s’en prendre au rétroviseur. »

Ainsi donc, c’est le comportement territorial d’un oiseau qui vit dans le coin.
Mais je sais qu’il ne s’en prend pas à la voiture, mais à son reflet. À lui-même, en sorte. Pensant éloigner un congénère envahissant.

Bien sûr, il n’apprend rien de ses échec répétés avec le miroir. Peut-être même pense-t-il dans sa tête de piaf que quand la voiture s’éloigne, c’est lui qui a gagné. Peut-être a-t-il un moral de vainqueur dans sa tête de piaf. Et qu’il renforce sa victoire à chaque visite de la jeune femme à la vieille femme qui vit dans la maison devant laquelle elle se gare.
Mais comment pourrait-il seulement appréhender la complexité réelle de la situation, l’enchaînement des causalités et des conséquences ? Il se perçoit forcément au centre du dispositif, comme celui qui décide du déplacement des objets dans son territoire, alors qu’il n’est qu’un petit figurant dérisoire trompé par un effet d’optique et un certain manque de perspectives.
Il pense contrôler son environnement et sa certitude ignorante perdurera jusqu’à son dernier souffle de petit oiseau courageux.

J’ai trouvé le Don Quichotte des moineaux.

Et je me demande combien d’entre nous se battent contre des illusions en croyant gagner à la fin.