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L’Internaute Science

La conscience n’est pas le propre de l’Homme

Par Julie Crédou

mercredi 29 novembre 2006

Une machine qui pense par elle-même, qui a conscience de son existence, capable de ressentir différentes émotions de manière autonome ... est-ce un fantasme ou une réalité à venir ? Gilbert Chauvet et Christophe Jacquemin ont répondu à vos nombreuses questions ...

Qu’est-ce que la conscience naturelle ?
Gilbert Chauvet (GC) : La conscience est une notion qui commence seulement à être vraiment étudiée d’un point de vue scientifique et il n’existe actuellement pas de définition rigoureuse de la conscience.
Voici ma définition, qui repose sur 4 propriétés, dont la principale est l’existence de la réflexivité, c’est-à-dire la conscience de l’autre dans soi. Il existe en effet plusieurs types de conscience : celle qui est liée à l’anesthésie, par exemple, et celle dont nous parlons ici -la conscience de soi- notion beaucoup plus difficile.

La conscience est-elle le résultat de l`évolution ?
GC : C’est une très bonne question qui revient à en poser une autre, qui est d’ailleurs celle qui m’intéresse ici, à savoir : la conscience est-elle une fonction physiologique, autrement-dit, repose-t-elle sur le cerveau et par conséquent, résulte-t-elle de l’évolution ? Ma réponse est oui, bien évidemment. Le problème est donc de démontrer que la conscience a des propriétés qui découlent de la physiologie du cerveau.
Je parle ici d’un point de vue théorique, c’est-à-dire d’un modèle formalisable, explicatif et prédictif de la conscience comme résultat de l’activité cérébrale.

Comment définir un système intelligent ? Est-ce la conscience qui définit l’intelligence ?
GC : Intelligence et conscience sont deux choses différentes, dans la mesure où l’intelligence peut se ramener à un algorithme réalisé par le cerveau, alors que pour la conscience, cela reste à démontrer et, a priori, je pense qu’il s’agit d’autre chose.
Christophe Jacquemin (CJ) : Certains chercheurs en robotique -tel Alain Cardon par exemple- pensent que la conscience est du domaine du calculable, mais cela reste encore à démontrer.
GC : Tout le problème est aussi de pouvoir donner une définition de la conscience, en termes physiologiques.

Comprendre l’intelligence naturelle pour créer une intelligence artificielle, dans quel but ? Y-a-t-il des applications concrètes et prometteuses pour l’Homme ?
CJ : Oui, il y a des applications concrètes pour l’Homme : les robots, les prothèses "intelligentes"...
Un exemple : l’exploration spatiale. Un robot sur Mars doit pouvoir faire des actions par lui-même, être autonome.
Plus on comprendra l’intelligence naturelle, et plus on ira sur la voie de l’autonomie pour les robots.
CG : Comprendre l’intelligence naturelle exige une compréhension de type mathématique pour être implémentée sur un ordinateur.

"Il y a des apllications concrètes de l’intelligence artificielle pour l’Homme"

Qu’est-ce qu’une prothèse intelligente ?
CJ : Une prothèse intelligente est une prothèse dirigée par un processeur selon un programme, et qui permet de la contrôler par la pensée.
GC : Un des problèmes actuel posé par les prothèses intelligentes -in vivo- n’est pas l’action effectuée par cette prothèse mais l’interfaçage entre le tissu vivant et le processeur, en raison du rejet, comme toute greffe.

Les joueurs d’échec vont-ils de nouveau être menacés par les performances des superordinateurs à l`avenir ?
CJ : Oui. Là, il s’agit d’une question de puissance de calcul, qui ne cesse d’augmenter. Plus difficile actuellement est la réalisation d’un système permettant de battre les champions au jeu de go.

Pourrait-on un jour créer une intelligence artificielle qui décide de se retourner contre l’Homme ?
CJ : C’est un vieux fantasme. En fait, cela pose la question de savoir si une machine peut avoir un comportement qui n’a pas été préalablement programmé. Mais les recherches actuelles, montrent qu’effectivement, une machine peut avoir un comportement -dans une certaine mesure- qui n’a pas été programmé. C’est ce qu’on appelle l’émergence.
GC : Il faut prendre cette affirmation avec beaucoup de précautions car faudrait-il encore démontrer que ce type de comportement n’est pas dû à une loi mathématique traduite par les règles du programme et que l’on ne connaît pas.
CJ : Oui et ceci montre l’importance de la nécessité que des mathématiciens prennent à bras le corps ces questions, ce qui n’est pas vraiment le cas.

Les processus algorithmiques sont-ils suffisants pour décrire l’intelligence ?
GC : L’intelligence, sûrement (à condition d’être d’accord sur la définition de cette intelligence). La conscience, je ne pense pas.

"On peut décrire l’intelligence par des algorithmes"

L’intelligence artificielle, c’est surtout de l’informatique ou de la biologie (voire de la physique) ?
GC : L’intelligence artificielle fait partie des mathématiques appliquées. L’intelligence naturelle, c’est de la biologie, de la physique et des mathématiques.
CJ : Et la psychologie ?
GC : A condition qu’elle soit fondée sur les processus cérébraux, c’est-à-dire la physiologie du système nerveux central.

Est-ce qu’on pourra cartographier toutes les émotions ou il reste une dimension purement psychologique ?
GC : Oui, les émotions sont des processus cérébraux dans lesquels interviennent les hormones. On pourra les cartographier.

Par rapport à l’émergence : existe t-il des règles éthiques en intelligence artificielle, comme pour la manipulation des cellules souches en bio ?
CJ : Certains chercheurs ont en effet commencé à évoquer le besoin de comité d’éthique. Cela n’existe pas pour l’instant, mais je suis sûr que cela va exister dans un futur très proche.

Dans quelles directions s’oriente la recherche en robotique et en intelligence artificielle ?
CJ : Il y en a beaucoup et ce serait vraiment très long de toutes les citer ici. Celles qui m’intéressent : l’autonomie du robot, l’émergence des langues, la reconnaissance des formes, la fouille de données intelligentes. Des questions comme celle-ci : est-il possible de donner de la "curiosité" à un robot ?

Pensez-vous que reproduire artificiellement un comportement animal (les cafards par exemple) en recherche fondamentale pourrait avoir un impact sur des systèmes artificiels, des machines qui seraient capables d’interagir avec les animaux domestiques ?
C’est déjà ce qui est fait en ce moment pour analyser les comportements sociaux de tels insectes. Le comportement d’une société de fourmis par exemple, peut être traduit en termes informatiques, les règles étant de nature biochimique (odeur...).

Pensez-vous qu’il y ait une conscience animale ?
GC : Oui, des expériences le montrent (dauphins, singes, chat...). Je parle ici de la conscience miroir, le fait de se reconnaître dans l`autre.

"La conscience n’est pas le résultat d’un algorithme"

La conscience n’est donc pas le propre de l`Homme ?
En effet, elle n’est pas le propre de l’Homme. Encore une fois, il faut s’entendre sur ce qu’est la conscience et qu’il existe des degrés de conscience différents car elle est liée aux possibilités d’apprentissage et de mémorisation, par conséquent aux performances du cerveau.

L’ordinateur de 2001, l’Odyssée de l’Espace, c’est plausible ?
GC : Non car la conscience, pour moi, n’est pas le résultat d’un algorithme.
CJ : Dans un autre registre, j’aimerais citer l’expérience "Talking heads" qui a été menée par le laboratoire Sony CSL ou des agents logiciels (situés) ont pu se mettre d’accord sur un répertoire commun de mots (face à des situations). Ceci montre que des machines peuvent se mettre d’accord sur le sens de mots. Cela serait très long à expliquer ici, mais on peut trouver de plus amples explications sur le site de Sony CSL.
et : voir la vidéo (en anglais)

Modéliser des réseaux de neurones suffira-t-il à comprendre l’émergence de raisonnements complexes ?
GC : Oui, c’est d’ailleurs ce que j’ai fait pour l’intelligence du mouvement, mais à l’intérieur d’un cadre théorique qui permet de mathématiser les fonctions physiologiques. Cela-dit, il ne faut pas confondre les structures cérébrales qui ont un certain comportement et le comportement qui peut être le raisonnement.

Attribuer de l’intelligence à un robot revient-il donc à reproduire les modèles physiologiques cérébraux chez l’Homme d’où découlent émotions, réflexions... ? Finalement, c’est quoi l`intelligence naturelle ?
GC : S’il s’agit d’une intelligence naturelle, autrement-dit, avoir un comportement identique à l’humain, la réponse est oui. C’est une série d’opérations, donc réductibles à un algorithme.
Chacune d’elle étant effectuée par une structure cérébrale.

Pouvez-vous nous proposer un bon livre qui traite ce sujet ?
GC : Le mien, forcément (rire) !!!
Le titre est : "Comprendre l’organisation du vivant et son évolution vers la conscience"
Ce livre montre que jusqu’à présent (c’est-à-dire avant mes travaux), il n`existait pas (et quoi qu’on en dise) de théorie générale (donc intégrative) des systèmes vivants.
Une théorie doit être différente d’un modèle, dans la mesure où elle suppose une représentation spécifique (à la biologie) et un formalisme mathématique, lui aussi spécifique.
La théorie doit être valable pour tous les systèmes biologiques, le modèle décrit, lui, un système spécifique avec ses propres hypothèses dans le cadre de la théorie.
L’avantage d’une théorie générale, c’est qu’elle permet d’avoir un formalisme unique et par conséquent un programme informatique permettant de coupler tous les systèmes biologiques, quels qu’en soient les niveaux d’organisation, par exemple, passer du niveau moléculaire au niveau comportemental de l’organisme.

Question à Mr. Chauvet, est-ce qu’une théorie capable de décrire l’évolution des espèces et des individus, dans le temps et dans l’espace, du niveau moléculaire au niveau social pourrait être un argumentaire supplémentaire pour les antiévolutionnistes ?
GC : Une telle théorie apporte des arguments en faveur de l’évolution puisqu’elle décrit l’évolution de l’espèce en fonction de sa physiologie. Elle est donc en faveur des évolutionnistes.

Est-il possible d’expliquer les organismes vivants par des lois ? Si oui, peut-on imaginer un jour la mise au point d’un seul médicament luttant simultanément contre différents problèmes ?
GC : Merci pour cette question. La réponse est bien sûr oui, car une théorie intégrative permet d’expliquer l’influence du niveau moléculaire sur les niveaux supérieurs et donc conduit à la détermination de médicaments sur des critères physiologiques, à l’aide de simulations. La théorie permettant de coupler plusieurs systèmes, on peut en effet concevoir un médicament pouvant agir sur ces différents systèmes.
C’est ce que je suis en train de vouloir réaliser, en créant actuellement mon entreprise.

"On peut concevoir un médicament pouvant agir sur différents systèmes"

En vous lisant, j’ai l’impression que la vie en générale se résume aux mathématiques, non ?
GC : Oui, je crois comme en physique, à l’intelligibilité mathématique de la Nature. Et plus un système est complexe, plus il doit satisfaire à des lois mathématiques, sinon il n’existerait pas. En réalité, il s’agit certainement plus qu’une croyance, dans la mesure où de nombreuses observations le confirment (stabilité des systèmes).

Selon vous, l’intelligence émane-t-elle de la complexité ou d’autre chose ?
Elle émane essentiellement de l’organisation complexe des réseaux de neurones.

Gilbert Chauvet et Christophe Jacquemin : Nous remercions L’Internaute de nous avoir invités pour répondre à des questions que nous estimons d’intérêt majeur pour le monde de la biologie.

Messages

  • Bonjour, c’est le titre de cet article qui m’a amené à le lire puis le commenter.
    Gilbert Chauvet et Christophe Jacquemin malgré tout le respect que je leur doit semblent associer avec la définition de la conscience qu’ils tentent brillamment d’élaborer celle de l’intelligence, définition encore plus improbable à produire s’il en est.
    Comme il s’agit d’Ethologie sur ce site voilà l’endroit idéal pour exposer une définition plus formelle, sans être pour autant plus périlleuse.

    L’affirmation initiale "la conscience n’est pas le propre de l’homme" bien que certainement inspirée par le désir sain d’évacuer tout anthropomorphisme peut être en partie considérée comme fausse.
    Tout d’abord il n’est pas nécessaire d’associer "l’intelligence" au phénomène appelé "conscience" dans l’explication qui suit, ce qui est déjà une manière d’appliquer le rasoir d’Ocam puisqu’on peut faire l’économie de cette association des deux concepts.
    Ce qui d’après moi fonde la conscience comme le propre de l’homme se trouve dans une proposition issue de la paléontologie et qui expose une propriété animale de l’homminidé "homme" (hommo-erectus ou ergaster etc. qu’importe) caractérisé par la faculté d’estimer un évènement donné dans l’espace temps. Cette faculté se concrétise dans cette capacité très spécifique à l’homme de pouvoir interpréter une empreinte d’animal. Bien sur il est difficile d’évaluer si d’autres espèce du règne animal sont capables de la même performance, il semble tout de même que seul l’homme l’exploite autant, les autres branches homminidées ont quelques carractéristiques identiques mais ne sont pas confrontés aux même fragilités que nous, ce qui ne les incite pas à plus les développer. Toutes les espèces ont développé au fil de l’évolution une ou plusieurs stratégies de survie qu’elles adoptent compte tenu des performances et avantages qui en découlent. Des rapaces auront une acuité visuelle particulière, d’autres felins un odorat surdéveloppé etc. pour l’homme cette capacité de "lecture" de son environnement est très vite devenu la stratégie majeure dont l’exploitation produit encore aujourd’hui des progrès voir du génie. Le problème fut que cette propriété ( la faculté d’estimer un évènement donné dans l’espace temps ) mis l’homme dans une situation dépassant le seul instinct de survie, il fut capable très vite d’évaluer les conditions temporelles de sa fin inéluctable. Ce que nous appelons communément "angoisse de mort" est très certainement le produit de ce choix stratégique de survie. Le choix de modifier son environnement que l’homme n’est certes pas seul à faire n’est pas exactement motivé par les mêmes raisons que le castor par exemple. Il parait très vraisemblable que ce choix soit fait surtout pour contrarier cette idée insoutenable d’une mort certaine. D’où la différence avec l’instinct de survie qui ne s’exprime que dans le danger, pour l’homme le sentiment d’angoisse de la mort ne disparaît pas même quand il se trouve en parfaite sécurité. Ce qui le pousse tout naturellement, et encore aujourd’hui, à chercher sans cesse les moyens de retarder cette mort qui le nargue...
    De plus, cette faculté d’estimer un évènement donné dans l’espace temps lui permit de conceptualiser de plus en plus finement jusqu’à l’abstraction, pour enfin produire de la pensé et concevoir l’idée abstraite de "conscience". Hors de tous les modèles philosophiques ou spirituels, la conscience peut très bien être considéré comme le propre de l’homme, dans la mesure où cela constitue sa spécialité animale. Rien de vaniteux dans tout ça, nous sommes peut-être confrontés à toutes sortes de problèmes moraux et culturels, mais le choix continue d’être fait et nous ne sommes pas capable d’envisager une autre stratégie, celle-ci nous réussissant en dehors des conséquences psychopathologiques qu’elle ne manque pas de produire. Nous en somme victimes en quelque sorte.
    Maintenant si l’intelligence émane essentiellement de l’organisation complexe des réseaux de neurones comme le disent très justement Gilbert Chauvet et Christophe Jacquemin, ces même réseaux neuronaux constituent in extenso le produit positif de cette incessante quête contre la mort. Cette définition permet d’évacuer ces autres concepts de "consciences multiples" ou "niveaux de conscience" qui sont non seulement douteux par leur capacité à produire des pensées "magiques", mais nous encombre l’esprit dans nos questions existentialistes alors qu’ils n’ont aucune validité pour cause d’impossibilité à être démontré.
    La conscience ne serait donc qu’une banale caractéristique animale de l’homme, mais avec les conséquences que l’on sait.
    En espérant que ma position critique puisse éveiller le débat qui n’est pas clos pour autant, je trouve ce raisonnement des plus conforme avec l’esprit et la raison (sans parler de son esthétique).
    En vous remerciant de me donner la possibilité de m’exprimer, cordialement

    Patrick Desche
    Libre penseur mais perclus d’angoisses...

    • En complément au post précédant, il est nécessaire de rappeler que l’exposé de Gilbert Chauvet et Christophe Jacquemin concerne principalement l’intelligence artificielle. Ceci pour dire qu’une définition de la conscience est indépendante de celle d’intelligence ou plutôt que l’intelligence humaine est un produit de la conscience "stratégie animale". Ce qui pourrait suggérer qu’une machine conçue pour "penser" ne serait consciente seulement si elle possède l’instinct de survie associée avec une fragilité face à l’environnement et la fameuse propriété d’évaluation d’un évènement dans le temps et l’espace. Ce pourquoi on peut concevoir de "l’intelligence" chez le dauphin ou le perroquet par exemple, sans pour autant appeler cela "conscience". (oui je sais j’ai l’air de me contredire)

  • En complément au post précédant, il est nécessaire de rappeler que l’exposé de Gilbert Chauvet et Christophe Jacquemin concerne principalement l’intelligence artificielle. Ceci pour dire qu’une définition de la conscience est indépendante de celle d’intelligence ou plutôt que l’intelligence humaine est un produit de la conscience "stratégie animale". Ce qui pourrait suggérer qu’une machine conçue pour "penser" ne serait consciente seulement si elle possède l’instinct de survie associée avec une fragilité face à l’environnement et la fameuse propriété d’évaluation d’un évènement dans le temps et l’espace. Ce pourquoi on peut concevoir de "l’intelligence" chez le dauphin ou le perroquet par exemple, sans pour autant appeler cela "conscience". (oui je sais j’ai l’air de me contredire)