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La transhumance des ours
Texte d’Action Nature, la lettre d’Action pour la Nature N°34, novembre 2006
samedi 11 novembre 2006
Dans les Pyrénées, la tradition du pastoralisme est tellement ancrée, que même les ours y sont étroitement gardés ; et de temps en temps même, de curieuses transhumances leur sont consacrées. Pas moins de deux cette année !
Les ours aux sommets...
Premier cas de transhumance d’ours, celle de Balou le 11 juillet dernier. Alors que cet ours qui avait été lâché le 2 juin à Arbas (Ariège) avait fait une fugue, désertant, crime de lèsemajesté, les sacro-saintes Pyrénées où, il faut bien le dire, l’accueil n’avait pas été des plus chaleureux... Balou s’en était donc allé de par le vaste monde. Plus précisément, il était descendu dans le piémont pyrénéen, puis avait continué son escapade en direction de Toulouse, avant de faire demi- tour et de s’installer paisiblement à Sainte-Croix-Volvestre (Haute-Garonne), à une quinzaine de kilomètres de Saint-Giron. Pas assez montagneux, ont déclaré les autorités, après que l’équipe technique ours ait localisé le plantigrade récalcitrant. Et ni une ni deux, voilà l’animal anesthésié, et équipé d’un nouveau collier émetteur high-tech. Il se réveilla quelques temps plus tard à... Bagnères de Luchon. En pays de montagne. Car c’est là que tout ours se doit de vivre. Crénom d’un ours !
La seconde transhumance est programmée pour Sarousse, la dernière ourse à avoir été lâchée sur le sol pyrénéen. C’était le 22 août, à Arbas également.
Et elle aussi, s’en est allée voir s’il faisait meilleur dans le piémont où elle a élu domicile près de Saint-Giron depuis quelques temps. Et comble du comble, cette petite peste (112 kilos...) s’est octroyé le droit d’ôter le magnifique collier émetteur qui lui avait été offert en cadeau de bienvenue. C’est donc à partir de sa balise de secours, implantée dans l’abdomen, que les agents de l’équipe Ours la pistent maintenant 24 h sur 24. Car sans collier émetteur de dernière génération, plus question de suivi satellite. C’est à la bonne vieille antenne tenue à bout de bras qu’on localise l’ourse (Sarousse a depuis été capturée puis relâchée dans une zone plus montagneuse, ndlr).
Et tous les plus fins spécialistes de l’ours, réunis dans tous les cafés du commerce de la Haute-Garonne et de l ’Ariège, de commenter le comportement aberrant de cette ourse qui ne respecte pas les réglementations en vigueur pas plus que les traditions sur lesquelles il convient de veiller le fusil à la main : un ours digne de ce nom doit vivre à la montagne, et pas en dessous de 500 m d’altitude. Le grand spécialiste des âneries-ursines ariégeoises, le célèbre Augustin Bonrepeaux (député maire PS d’Ax-les-Thermes et Président du Conseil Général l’Ariège) déclare inadaptés au pays « ces ours qui échappent à l’autorité de la ministre » ; et de demander fort à propos « leur placement dans un parc de plusieurs milliers d’hectares ». Qu’ils ne viennent pas se plaindre, le bagne de Cayenne est fermé. Sinon, pas d’hésitation... C’est bien là-bas que l’on materait les récalcitrants.
Tout à chacun y va de son commentaire sur le comportement de ces ours qui ne savent même pas apprécier la beauté des sommets pyrénéens. Pas plus que toutes ces belles festivités qui leur ont été offertes par des montagnards imaginatifs. Tous ces éleveurs, chasseurs et élus locaux en mal de reconnaissance, qui organisent des battues avec casseroles, cloches ou pétards, ou qui répandent des pots de miel avec des bris de verre dedans, sans doute pour mettre un peu de piquant dans la morne existence de ces ours déracinés.... Tout ce mal que se donnent ces vrais montagnards, snobés ainsi par cette racaille slovène. Décidément, tout se perd.
Ce qu’on perd surtout, c’est le bon sens. Car l’ours n’est absolument pas une espèce strictement montagnarde. Si c’est effectivement dans les Alpes et les Pyrénées que les ours ont trouvé leurs derniers refuges en France, c’est uniquement parce qu’ils y ont trouvé plus de possibilités d’échapper à la chasse qui leur était faite. Les ours vivent à faible altitude tout le long de leur aire de répartition. Il n’y a donc rien d’anormal à ce qu’ils s’adaptent (ou plutôt tentent de s’adapter, faute que l’on leur en laisse le temps...) au piémont pyrénéen. Surtout en cette saison de forte production de glands et autres châtaignes qui manquent près des sommets enneigés...
La vie sauvage ne fait pas encore partie du vocabulaire des décideurs. La déontologie et le respect de la Nature, c’est pour la littérature et le cinéma. Les ours sont équipés de colliers et de puces intra-abdominales. Leurs localisations sont diffusées au jour le jour. Pas question de se laisser déborder par la naturalité. Pas même attendri par une vague pincée bucolique. Les ours, c’est aux sommets des montagnes qu’on les veut. Et qu’ils se le tiennent pour dit : Augustin est prêt à acheter les piquets et le grillage pour faire l’enclos, ça lui coûtera toujours moins cher que la subvention qu’il verse, via le Conseil Général de l’Ariège, à l’Association de Sauvegarde du Patrimoine Ariège Pyrénées, association d’extrémistes anti-ours qui s’est tristement illustrée depuis ce printemps.
Source : FERUS