Revue Etho-logique

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Les Echos

Big Brother s’invite chez les insectes

par MATTHIEU QUIRET

jeudi 10 août 2006

Un mathématicien, des technologues et des éthologues s’associent pour décrypter le comportement social des fourmis, des souris et des blattes.

Quelle différence y a-t-il entre un consommateur et une fourmi ou une souris ? Pour Younès Bennani, pas grand-chose. La preuve, ce chercheur en informatique de l’université Paris-XIII va proposer aux éthologues (étude du comportement des animaux) les algorithmes d’intelligence artificielle qu’il vend à ses clients de la grande distribution ou de l’assurance. Ces logiciels capables de donner un sens à de gigantesques volumes de données savent aujourd’hui repérer en quelques clics le profil d’un internaute qui débarque sur un site d’achat. Il aide aussi les opérateurs de téléphonie à préparer des offres commerciales personnalisées. Les éthologues du laboratoire spécialisé de l’université Paris-XIII ont rapproché l’apparition de ce nouvel outil mathématique d’une innovation technologique très précieuse pour eux : l’étiquette électronique à radiofréquence (RFID). Ce remplaçant moderne du code-barres a envahi le monde de la logistique en permettant de repérer à distance un objet. Peu à peu, de nouveaux secteurs s’en emparent, y compris dans la science. C’est ainsi qu’est né « Sillage », un projet de recherche financé par l’ANR. « Cela fait vingt ans que j’étudie la société des fourmis en suivant les individus avec des petits dossards collés sur chacun d’eux, mais le repérage et le traitement de ces comportements sont très lourds et limités », explique Dominique Fresneau.

Aujourd’hui, la miniaturisation des étiquettes électroniques frôle les dimensions des insectes. Les scientifiques sont rentrés en contact avec la PME innovante européenne Spacecode, spécialiste de cette technologie de radiofréquence. « La dernière génération était encore un peu lourde et chauffait trop. Le nouveau prototype de Spacecode convient mieux, à condition d’étudier les plus grosses fourmis existantes, provenant du Brésil », précise Dominique Fresneau. Son laboratoire est déjà prêt pour l’expérimentation. Ses paillasses sont encombrées d’imposantes fourmilières de Plexiglas dans lesquelles s’activent des milliers d’insectes.

Comportement maternel

La pluridisciplinarité du projet a séduit l’ANR (Agence nationale de la recherche), tout comme ses risques technologiques. Car les spécifications voulues par les éthologues vont tirer les RFID vers le haut. Les antennes du récepteur de signal doivent en particulier progresser pour satisfaire le volet « rongeur » du projet. Les spécialistes des souris de Paris-XIII se sont effectivement associés à leurs collègues entomologistes avec le même souci de comprendre les comportements sociaux de leurs cobayes. Plus précisément, c’est l’instinct maternel de l’espèce « Mus spicilegus » que va étudier Patrick Gouat avec son équipe. « Nous n’avons plus les problèmes de miniaturisation des entomologistes mais, en revanche, nous voulons des antennes plus sensibles. Il fallait jusqu’ici les promener autour des étiquettes pour capter un signal. Nous testons maintenant de nouveaux prototypes plus fiables. »

Les premiers essais sont concluants. Dans son laboratoire, Patrick Gouat a créé un réseau de « nids » reliés entre eux par des galeries où sont fixées les antennes de réception des RFID. Nocturnes, ces animaux sont plongés dans le noir et visibles d’une pièce par des caméras infrarouges. Une étiquette a été injectée dans le cou de chaque souris, « ce n’est pas plus gênant qu’un piercing », s’amuse à dire le chercheur. Un ordinateur comptabilise ainsi chaque passage (éclair) d’une souris. Ces campagnes de mesures dureront un à deux mois, le temps d’un cycle de naissance. Les éthologues attendent de ces expériences une meilleure connaissance des comportements sociaux des animaux, mais leurs travaux serviront aussi la robotique. La collaboration des deux disciplines a déjà occasionné le beau projet Leurre réalisé par des laboratoires français, belges et suisses. Ces deux dernières années, les chercheurs ont fait cohabiter des blattes et des micro-robots de taille similaire. Ceux-ci devaient mimer le comportement des insectes jusqu’à se fondre dans leur population, l’objectif étant de créer une influence sur eux. L’éthologie et la robotique sont amenées à davantage collaborer à l’avenir.

Une chercheuse de l’Institut vétérinaire de Maisons-Alfort va ainsi utiliser le chien-robot Aibo de Sony dans une partie de ses expérimentations sur les comportements d’attachement du chiot de huit semaines. Le robot sert alors à stimuler des interactions fines puisqu’on peut lui demander des mouvements précis ou le faire couiner à volonté grâce à une liaison Wi-Fi. D’autres animaux inspirent aussi les roboticiens, comme la mouche que l’équipe de Nicolas Franceschini (CNRS Marseille) étudie depuis longtemps. Son équipe a réalisé deux robots volants dotés d’yeux de mouche très sophistiqués. La multiplication des drones terrestres, marins et aériens chez les militaires et dans les applications civiles promet un bel avenir à cette collaboration des deux disciplines.


Source -> Les Echos